Rencontre avec Serge Saunière
Souvenirs de l'atelier de Lithographie Pousse Caillou
Serge Saunière vit près de Paris. Nous sommes allés le rencontrer et visiter son atelier pour y découvrir son univers de création : des encres, des peintures (uniquement des grands formats), des pinceaux...et pour lui demander de raconter son expérience à l'atelier Pousse Caillou. L'interview a eu lieu en Janvier 2016.
« Les conditions étaient exceptionnelles, tout était possible »
Serge Saunière peint peu. Trois, six toiles par an. Il dit être capable d’aller et venir devant une toile blanche des mois durant, tant que le moment n’est pas venu. Et puis la maturation s’opère et il se lance alors.
Dans son atelier de Pontault-Combault, des pinceaux de toutes formes et de toutes tailles, dont les plus gros ressemblent à ceux qu’utilisent les calligraphes japonais, pendent du plafond comme des ustensiles de cuisine. La petite cuisine de Serge Saunière, c’est l’abstraction. Ses œuvres sont des paysages intérieurs, en noir et blanc. Profondes, elles transportent le regard sur des rivages intimes où le silence règne en maître. Peu disert, Serge Saunière aurait aimé maîtriser les mots. On peut se réjouir qu’il ait réussi à convertir la poésie en peinture. Et en lithographie. Son histoire avec Pousse Caillou remonte loin, avant même l’ouverture de l’atelier à Roquefort-des-Corbières.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous retrouvé à l’atelier Pousse Caillou ?
Je crois que c’est par l’intermédiaire d’une amie de Luc Valdelièvre qui m’avait parlé de l’atelier. C’était à Paris. L’atelier était au croisement de la rue de Lappe et de la rue de Charonne. J’y suis allé. A l’époque je travaillais dans une boutique qui s’appelait Le Chat Huant. J’étais aux Beaux-Arts, aussi, et je me suis lancé dans un projet qui s’appelle « Treize manières de voir un merle », sur le poème de Wallace Stevens que m’avait fait découvrir Kenneth White avec qui j’ai fait ensuite « Onze vues des Pyrénées ». Je me suis lancé là-dedans.
C’est le moment où j’ai commencé l’abstraction. C’est parti d’un jour où je suis allé au jardin du Vert Galant. Il y avait un merle en train de barboter, de s’ébrouer, et c’est parti comme ça, à partir de là. Plus que la représentation, ce qui m’intéressait c’était tout le mouvement qui s’ensuivait, tout le côté abstrait de la chose. Et puis il y a eu ce poème ce Stevens et je me suis dit tiens ! ce serait intéressant de travailler là-dessus. C’est ce que j’ai fait à Pousse Caillou. Les conditions de travail dans l’atelier étaient exceptionnelles. Je n’aurais jamais pu le faire si Luc n’avait pas été là.
Vous avez retrouvé les mêmes conditions à Roquefort ? A quoi ressemblait une journée à l’atelier ?
Oui. A Roquefort c’était le même topo. J’arrivais le matin dans l’atelier et puis je passais la journée, même des fois à midi j’y restais, Luc était là pour me seconder, enfin seconder...
c’est lui qui dirigeait la manœuvre mais en même temps on savait qu’on pouvait pratiquement tout se permettre. On pouvait faire des essais, si c’était raté – je n’aimais pas trop ça parce que c’était beaucoup de travail – ce n’était pas grave. Il regrainait la pierre et on recommençait. Et puis dans le choix des couleurs, alors là c’était le maître ! Moi je disais « je veux un vert comme ci, un vert comme ça » et je l’avais. C’est lui qui avait le savoir-faire.
La litho couleur, ça se conçoit un petit peu à l’avance. Il faut prévoir. Je savais que je voulais tel fond avec telle matière, et qu’après, à l’intérieur je pouvais inscrire une gestuelle qui venait se fondre avec ce premier travail très maîtrisé, très pensé. Ce qu’il y a de bien quand je travaillais avec Luc c’est que si je voulais m’arrêter au bout de deux passages, deux ou trois pierres, c’était très bien. Mais je savais que je pouvais utiliser dix, douze pierres, s’il fallait ! Une litho avec dix ou douze passages ça doit chiffrer pas mal. Dans un atelier « normal », il faut payer pour tout, pour le grainage, le calage, tout est facturé. Alors que là j’avais cette liberté de m’arrêter quand je voulais. Tout était possible.
Racontez-moi un moment doux ?
Oui, certainement. C’est un petit peu tout ce qui revient sur mon travail, c’est le maître mot, le silence. La gestuelle du silence, le maître du silence... C’est vrai que c’est une peinture – ou les lithos, à l’époque – qui pousse plus à l’introspection, c’est pas bavard. Mais le silence ça fait du bruit, parfois. Et puis c’est vrai que je suis quelqu’un qui sort peu de l’atelier. Je ne travaille jamais dehors. Quand je suis dehors je regarde, je me tais, j’emmagasine et puis après ça ressurgit ici, dans l’atelier.
Plus à l’aise avec le silence ?
L’essence, le sens de ma peinture est de n’avoir pas de contraintes. La lithographie impliquait d’avoir tout prévu au moment où Luc disait : « Allez ! On lance la machine. » C’est ce mot de Johann Paul Friedrich Richter : « Le timide a peur du danger avant ; le lâche, pendant ; le courageux, après. » Je n’ai pas eu le temps de passer de la timidité au courage. Je n’en ai pas eu le temps parce que Luc est parti trop vite. J’ai fait beaucoup de lithographies mais pas assez pour maîtriser le moment où je dois m’arrêter, l’économie de gestes.
Qu’est-ce que vous ressentiez face à la pierre ? Une approche différente de la toile ?
Moi, l’approche avec la pierre... J’ai dû faire une pierre une fois avec Luc au crayon mais disons que mon véhicule, c’est l’eau. Ça dépend de ce qu’on veut comme matière, on peut jouer en mettant un petit peu d’essence sur l’eau mais l’essence ça va vite dans le gras. Ma façon de travailler c’était avec l’eau. On ne grave pas, on ne tripote pas la pierre. Bon, Loste, lui, il n’avait pas peur d’y aller, il grattouillait la pierre alors que moi c’est plutôt la caresse de l’eau, les choses qui se déposent lentement. Voilà je pense que ça c’est la différence fondamentale entre nous deux (il rit).
Vous avez essayé de travailler ensemble ?
On a essayé une seule fois ! Luc faisait des cartes de vœux en fin d’année, il associait deux artistes. Bon, il m’a associé avec Patrick et c’était une catastrophe (il rit franchement). Ça s’est pas fait. Moi j’ai fait des choses, des petits jus. Ça ne correspondait pas du tout avec son univers.
Vous disiez que les mots n’étaient pas votre fort. Est-ce pour cela que vous avez beaucoup travaillé avec les poètes ?
Oui, ça a toujours été un petit peu un complexe, ou plutôt une envie. J’aimerais manipuler le verbe, mais non ! Les poètes expriment par des mots ce que je ne saurais faire. J’ai un problème terrible avec les mots, même pour écrire une lettre tout à fait simple, ça me prend la tête parce que chaque mot a son poids. J’admire les poètes. J’essaie de rendre l’émotion par ce que je maîtrise un petit peu, par la peinture ou l’image. Mais chaque fois j’essaie de me plier à ce qui est dans le texte.
Comme pour « Onze vues des Pyrénées », où la correspondance est très forte entre les lithographies et le très beau texte poétique de Kenneth White.
Oui, oui, bien sûr. Dans les « Treize façons de voir un merle » aussi. Dans « Onze vues des Pyrénées », chaque strophe, chaque verset, chaque petit poème m’évoque tout de suite une image. Quand je le lis je vois tout de suite la forme qui s’inscrit, après je ne sais pas comment je vais la traduire, ça va être un élancement, un choix sur la verticale, sur l’horizontale. Chaque fois je trouve une manière d’être au plus près de ce que je ressens par rapport au texte.
Aujourd’hui, vous referiez des lithographies ?
Non. Je le redis, les conditions de travail étaient exceptionnelles. Tellement exceptionnelles qu’aujourd’hui je ne referais pas de litho.
Propos recueillis par Jean-Louis Dubois-Chabert